À quel point la vie privée est-elle… privée ?
Le Code civil protège nos droits de la personnalité, dont la vie privée fait partie. Mais jusqu’où va cette protection ? Jusqu’où les journalistes peuvent-ils aller lorsqu’ils parlent de quelqu’un dans leurs reportages ? Et doivent-ils traiter tout le monde de la même manière ?
exemple
Silvio a été renversé à vélo par une voiture. Il a été blessé à la hanche et aux jambes, et transporté à l’hôpital en ambulance. Des témoins oculaires étaient rapidement sur place — alors que Silvio était encore au sol.
Certains ont sorti leur téléphone et ont pris des photos. Deux d’entre eux ont ensuite envoyé leurs clichés à des médias locaux (journaux, télévision…).
questions
- Est-il légalement et éthiquement acceptable de prendre et d’utiliser ces images de Silvio ?
- Les journalistes ont-ils le droit d’utiliser ces photos ?
- Peuvent-ils mentionner son nom ?
- Ont-ils le droit de le montrer de manière reconnaissable ?
Ci-près, tu trouveras une série de questions importantes sur la vie privée et la protection de la personnalité. Tu peux cliquer sur chaque question pour afficher la réponse.
La vie privée – qu’est-ce que c’est exactement ?
La vie privée comprend les données personnelles et financières (par exemple, la somme que tu as sur ton compte en banque), les communications personnelles, le domicile, les affaires familiales, ainsi que les convictions religieuses ou philosophiques.
Le droit à la vie privée est un droit fondamental, reconnu dans toutes les démocraties modernes. Il concerne la sphère non publique, dans laquelle chacun devrait pouvoir vivre sans subir d’intrusions extérieures.
Cependant, si tu te rends visible lors d’un événement public ou semi-public (comme une manifestation ou une assemblée d’association), tu dois t’attendre à ce que les médias puissent en parler — et donc que tu puisses apparaître reconnaissable sur une photo, par exemple.
Par ailleurs, ce droit peut être limité dans le cadre d’une procédure judiciaire, si tu as commis une infraction.
Et pour les célébrités ?
En principe, les personnes connues ont les mêmes droits que celles qui ne sont pas exposées publiquement.
Mais la notion de vie privée est évaluée différemment pour les personnalités publiques (comme des politiens, des PDG, des artistes ou des sportifs célèbres) que pour une personne anonyme.
Exemple — Un footballeur connu est surpris en train de conduire en état d’ivresse. C’est un sujet qui intéresse le public, et les médias ont le droit d’en parler s’ils en sont informés. Mais si Madame ou Monsieur Meier, habitant un petit village, fait la même chose, cela ne concerne pas le public de la même manière, et les médias ne devraient pas en faire un sujet.
Cependant, même pour les célébrités, leur sphère privée reste protégée :
chez eux, aucune image, vidéo ou enregistrement sonore ne peut être réalisé sans leur consentement explicite.
Quelqu’un peut-il te prendre en photo sans ton accord ?
Chaque personne dispose d’un droit à l’image. Cela signifie que tu as le droit de décider ce qu’il advient des photos ou vidéos où tu apparais.
Mais ce droit peut être limité dans l’espace public. Des photos ou vidéos prises dans un lieu public ne violent pas les droits de la personnalité tant que tu n’es qu’un simple « figurant », c’est-à-dire que tu es présent sur l’image par hasard et que tu n’en es pas le sujet principal.
👉 Quand on se trouve dans un espace public, on doit accepter d’être perçu comme faisant partie de cette sphère publique — et donc de potentiellement apparaître dans les médias. Dans ce contexte, le droit d’informer (par le texte ou l’image).
A-t-on le droit de prendre des photos de personnes blessées (par exemple lors d’un accident) ?
La limite entre ce qui est autorisé et ce qui ne l’est pas est très mince. Certaines personnes peuvent reconnaître la victime sur la photo, même si son visage n’est pas visible. Alors jusqu’où peut-on aller sans porter atteinte à la dignité humaine ni à la vie privée ?
Prendre une photo d’une personne blessée, par exemple une victime d’accident, est éthiquement discutable. Mais la publier est clairement inacceptable et juridiquement interdit, à moins que la personne concernée n’ait donné son accord explicite et écrit.
A-t-on le droit de publier les photos et les noms de personnes soupçonnées d’un délit ?
Lorsqu’une personne est soupçonnée d’une infraction et poursuivie en justice, un principe fondamental s’applique : elle est présumée innocente tant qu’elle n’a pas été reconnue coupable par un tribunal.
Les journalistes doivent donc respecter cette présomption d’innocence et la mentionner explicitement lorsqu’ils rapportent de tels faits. Les photos de suspects doivent être floutées ou masquées, par exemple avec un bandeau noir sur les yeux, et les noms ne doivent pas être publiés.
⚠️ Exception
Il existe une exception si la personne est une figure d’intérêt public. Par exemple : un musicien célèbre est arrêté, soupçonné d’avoir agressé sa compagne alors qu’il était ivre.
Même dans ce cas, les médias doivent impérativement rappeler qu’il s’agit d’un soupçon, et que la personne n’a pas encore été condamnée. La mention de la présomption d’innocence reste obligatoire.
Peut-on se défendre contre un article de presse ou un reportage ?
Oui. Sur le site du Conseil suisse de la presse, il est possible de déposer une plainte contre un contenu journalistique.
S’il s’agit d’un reportage de la télévision ou de la radio RTS, ou d’un article publié par un grand éditeur, la plainte doit d’abord être adressée au médiateur ou à la médiatrice de la région linguistique concernée. RTS met à disposition un formulaire en ligne pour cela. La majorité des grands médias suisses indiquent sur leur site comment contacter le médiateur.
Environ 5 % des plaintes ne peuvent pas être résolues par la médiation et sont ensuite transmises à l’Instance indépendante de recours en matière de radio et télévision (UBI). Enfin, il est aussi possible de porter l’affaire devant la justice (par voie judiciaire).
Et qu’est-ce que cela signifie dans le cas de Silvio ?
Une personne qui photographie Silvio blessé de manière reconnaissable agit de manière non éthique — autrement dit, ce n’est pas moralement correct, c’est condamnable. Ces images ne peuvent être publiées que si Silvio donne son accord explicite et écrit.
Soyons honnêtes, si tu étais à la place de Silvio, blessé après un accident, est-ce que tu aurais envie de devoir t’inquiéter de ce que d’autres publient sur toi ?
Alors, garde ton téléphone dans ta poche si tu es témoin d’un accident.
Car dans presque tous les cas, tu risquerais de porter atteinte à la vie privée des personnes concernées.


